Harmonie a deux filles qui avaient 5 et 8 ans au moment du diagnostic de sa maladie : la myasthénie. Elle a une grande facilité de dialogue et arrive à parler de la maladie sans rien cacher, mais sans faire d’hypothèse. Cette attitude, qu’elle partage avec son compagnon, l’a aidée à garder son rôle de parent cadrant et rassurant malgré la maladie.
« Je leur dis ce que je sais, sans faire d’hypothèses ni de suppositions. Avant le diagnostic de ma maladie en 2015, j’étais aide-soignante à domicile. Je me sentais de plus en plus fatiguée et je savais que cette fatigue était au-delà de la normalité. J’ai commencé à dire à mes filles, qui étaient quand-même petites : "Vous savez, je me sens fatiguée, je vais aller voir le médecin." A chaque étape de la recherche du diagnostic, mon compagnon et moi avons dit ce qu’il se passait.
Donc lorsque le diagnostic est tombé, cela n’a pas été un gros choc, mais plutôt un apaisement parce qu’il y avait une réponse. "Je suis fatiguée vous savez, je suis allée voir plusieurs médecins et enfin on a une réponse : la fatigue de maman est causée par une maladie qui s’appelle la myasthénie. Nous allons apprendre à vivre avec, je vais prendre des médicaments, les médecins disent que cela va aller mieux." Cela n’a pas été le cas, mais c’était leur avis. Nous, nous n’avons pas fait de supposition.
J’ai une grande facilité à parler, les filles ont toujours été habituées comme cela. C’est aussi lié à mon enfance. Je sais que les choses qu’on ne dit pas grandissent dans la tête des enfants. En leur donnant les vrais faits, on coupe leur imaginaire. Elles ont confiance : le jour où je leur dis ça va, c’est que ça va.
J’ai été rapidement obligée d’arrêter de travailler parce que je voyais double, je perdais mes forces et je n’arrivais plus à laver mes patients. Lorsque je venais les soigner, ils me disaient : asseyez-vous, je vous fais un café. Pour les filles, ma parole est restée factuelle : « j’ai vu le médecin à l’hôpital, je dois me reposer, donc j’arrête de travailler. »
« Dans les moments de poussée, c’est comme une chappe de plomb. Plus j’utilise mes muscles, plus ils lâchent. Là, on ne peut plus être un élément rassurant, puisqu’on est vraiment à terre dans tous les sens du terme. Elles voient quand je ne vais pas bien. Elles connaissent les signes : l’hypotonie du visage, les joues plus flasques, la voix qui change. Quelquefois, je leur dis "Attention, aujourd’hui je ne suis pas au top, je ne vais pas avoir de patience, je suis au bout du bout." En général, on est plusieurs à le constater, les enfants ne sont pas plus calmes. C’est pire ! Je pense que c’est angoissant pour eux, mais il vaut mieux le leur dire.
Cependant, c’est resté un élément cadrant qui a été le plus difficile. Nous sommes des parents assez exigeants : très peu d’écrans, etc. J’ai réussi à le rester, mais parfois j’ai dû vraiment prendre sur moi pour ne pas me laisser aller. Je tenais absolument à garder mon autorité parentale, parce que cela faisait écho à ma propre histoire. J’ai été un peu la maman de la maman. Pour moi, il était hors de question que mes filles jouent mon rôle. C’est peut-être cela qui m’a fait tenir la rigueur à la maison. Pour d’autres, ce ne sera peut-être pas le plus compliqué.
Cela n’empêche pas mes filles de m’aider parfois à m’habiller, à me coiffer. Ce sont des choses agréables que je ne leur impose pas. »
« Seule, je ne sais pas si c’est possible dans les moments de crises myasthéniques, avec des enfants de cet âge. On n’arrive ni à préparer le repas, ni à manger, ni à se laver et à s’habiller. Parler est un effort physique inimaginable. Si on n’est pas deux, Il faut vivre avec quelqu’un de la famille, avoir un proche à la maison. Il y a des témoignages où des femmes et des hommes se retrouvent seuls avec des enfants. Les conjoints s’en vont, comme ça peut être le cas lors d’un cancer. Par exemple, un ami, bien que très proche de notre couple, a quand même demandé à Bertrand pourquoi il restait avec moi. Cela a fait rire mon compagnon "en fait, je l’aime". Il dit, aussi, que tant que j’ai ma tête "il gère". Aussi, nous faisons en sorte qu’elles se sentent très entourées, que la famille se réunisse autour d’elles, qu’elles ne sentent pas un vide. Mes voisines ont été d'un grand soutien et les mamans de l'école se sont relayées pour emmener les filles à l'école et aux activités. Il est très important d'oser demander de se faire aider.
Dans la vie du couple, ce n’est pas simple non plus. On passe des caps dans l’intimité dont on se passerait bien. Bertrand a endossé le rôle d’aide-soignant du mieux qu’il a pu, mais il fallait faire bien et vite. Franchement si je suis amenée à revivre une crise myasthénique, j’appelle mes collègues. Une aide professionnelle permet à chacun, au sein du couple, de rester à sa place. Aussi, je voulais éviter à mes filles de voir leurs parents dans cette relation d'aide. Lorsque, j’étais clouée dans mon lit, je pouvais attendre, durant deux heures que Bertrand ait couché les filles, pour qu’il m’emmène aux toilettes. »
« Face à ma myasthénie, nos enfants semblaient aller bien, mais nous avions besoin d’un avis extérieur. Là où cela a été compliqué, c’est lorsque l’aggravation de mon état a été brutale. Avant ma première hospitalisation, par exemple, je n’avais plus de force, mais je tenais au mental jusqu’à ce que les filles partent à l’école. Il faisait très chaud, ce qui augmente les symptômes de la myasthénie. J’ai perdu toutes mes forces et je me suis écroulée en allant chercher le brumisateur dans la voiture. Je ne pouvais pas me relever. Lilas, la plus petite, a focalisé son attention sur le brumisateur que j’avais fait tomber. "Il aurait pu se casser maman !" Elle n’en a reparlé que six mois plus tard. "Maman, les adultes tombent aussi. Moi, je n’aime pas quand les adultes tombent. Tu te rappelles quand tu étais tombée ?"
Il nous semblait que les filles allaient bien mais nous voulions qu’elles voient un psychologue au moins une fois. L’ainée, Loïse, est allée à un rendez-vous, mais pour elle, parler à quelqu’un qu’on ne connait pas est ridicule. Elle a maintenant 12 ans et elle s’oppose à moi. Je me dis tout va bien, elle grandit, elle est à sa place.
Lilas, de son côté, a vu la psychologue scolaire deux ou trois fois. Parallèlement, nous avons expliqué aux maîtresses la situation. Parler aux enseignants est vraiment d’une grande aide. Cela crée du lien autour des enfants. Si quelque chose se passait bien lors d’un examen, je pouvais, par l’école, faire passer le message aux filles. J’y ai veillé, aussi, parce qu’avant d’être aide-soignante, j’ai travaillé dans l’Education nationale. J’ai constaté que si on ne savait pas ce qui se passait à la maison, on ne pouvait pas aider correctement les enfants. »
« Nous ne nourrissons pas leur imaginaire avec des "si", elles n’en espèrent pas moins que leur maman guérisse. Elles prennent les faits comme ils sont, mais quand nous jouons à faire des vœux, je sais quel est le leur. Je vais de mieux en mieux et Lilas m’a dit : "Maman, je crois que mon vœu est en train de commencer à se réaliser". Aussi, dans la perspective de ma participation à un essai clinique, nous avons dû leur expliquer ce qu’était une recherche en double aveugle et le fait que je pouvais avoir le traitement ou le placebo. Pour elles, il fallait que j’ai le traitement. En même temps, comme je leur avais parlé de l’effet placebo, elles idéalisaient : "le placebo, ça peut quand-même marcher ?" ».
À lire aussi autour de parent malade
Handicap : l’amour fraternel existe-t-il ?
Premier enfant différent, des mamans bousculées
Relation mère-fils : les conséquences du handicap sur la famille
© 2018 Plateforme Hizy