Tout petit, l’enfant est bercé, lavé, caressé. Mais en grandissant et avec le handicap, sa pudeur et celle de son entourage posent des limites...
Plus l’enfant grandit, plus il se pose la question du respect de son intimité. Le bain et, dans une moindre mesure, la douche, sont moins « intrusifs » que la toilette au gant : le contact direct d’une main sur les parties génitales est parfois délicat. Autant que possible, le jeune doit être incité et encouragé à s’occuper lui-même de sa toilette intime. Évitez le va-et-vient d’autres personnes là où elle se déroule. Veillez à ce que le nécessaire de toilette, la sortie de bain ou les vêtements de rechange se trouvent près du jeune avant de le déshabiller.
Lors d’une toilette au gant et du séchage du corps d’une adolescente, pensez à cacher sa poitrine avec une serviette quand vous vous occupez du bas, et inversement. Lorsqu’il n’y a pas de danger, laissez l’enfant un moment seul sous sa douche ou dans le bain, puis dans sa chambre : c’est une autre façon de lui offrir un peu d’intimité. Il est souvent préférable que la toilette des filles soit assurée par les mamans plutôt que par les papas, surtout à partir de la puberté. Pensez-y, car les jeunes n’exprimeront pas forcément une gêne pourtant présente.
« Ma fille est toujours soumise aux yeux de tout le monde. Un jour, les médecins l’ont carrément faite se déshabiller en plein couloir dans un hôpital », s’indigne un père dont l’enfant est atteint d’une amyotrophie spinale. « Je garde le souvenir de ce jour où, ma fille Élodie venant d’être opérée de la colonne vertébrale, la soignante n’a fait sortir personne au moment des soins », raconte Annie. « C’est moi qui ait dû dire que les gens devaient s’en aller. Plus tard, elle est venue s’excuser et me promettre qu’elle ne le referait pas. »
Parce qu’elle regroupe des notions bien différentes pour chacun, la pudeur reste souvent un sujet délicat à aborder. Et elle est source de bien des malentendus entre les personnels soignants et les familles. Nombre de parents se plaignent du peu de respect que le personnel médical ou l’entourage témoignent envers leur enfant. « Bien sûr, les soignants font quand même souvent attention. Mais à l’hôpital, ils sont moins prévenants qu’en institution, par exemple », regrette un père. Derrière le mécontentement des parents, il y a souvent ce sentiment que la pudeur de leur enfant est moins respectée tout simplement parce qu’il est handicapé…
Pour les soignants, le respect passe d’abord par une personnalisation des gestes. « Chaque personne développe sa propre pudeur en fonction de son histoire, de son environnement socioculturel, de son caractère… C’est pourquoi il est important d’en observer les codes, de les comprendre, pour mieux les respecter », note Patricia, auxiliaire de vie. Une tâche d’autant plus difficile que le concept de la pudeur pour l’enfant ou l’adulte dépendant n’est pas forcément le même que celui de son entourage. La toilette est toujours l’un des moments les plus délicats. « Il faut savoir respecter le rythme auquel l’enfant ou l’adulte va dévoiler son corps. Nous devons comprendre ce que nos gestes signifient pour lui et toujours personnaliser notre attitude », insiste Patricia. Complicité et dialogue clarifieront les incompréhensions. « Je me souviens d’un garçon de 15 ans dont je m’occupais. Lors du bain, il fallait trouver un équilibre entre sa pudeur et la mienne, d’une part parce que nous étions de sexe opposé, d’âge différent (il était adolescent et j’étais une femme), et d’autre part parce qu’il était craintif à la suite de maltraitances subies en structure. J’ai cherché à laisser s’installer le plus de naturel et de complicité possible : la douceur, la lenteur, l’humour de certaines situations, le jeu. Je le laissais diriger notre relation, lui proposais, avant d’agir, et partais toujours de son désir. Tout cela nous a permis de trouver un terrain d’entente. À partir du moment où il ne se sentait pas gêné avec moi, où nous nous étions compris, la relation s’est renforcée. Du coup, le bain est devenu un temps d’échange relationnel et émotionnel très stimulant. »
Pour le professionnel comme pour les proches, il n’est pas toujours facile d’apprendre à gérer son embarras, en fait fréquemment plus important que celui de l’enfant ou de l’adulte dépendant. « C’est souvent notre propre gêne qui nous fait avoir des gestes pudiques à l’égard des personnes que l’on accompagne », constate Patricia. « Un jour, dans la rue, alors que je me promenais avec une jeune femme en fauteuil, nous avons été interpellées trois fois par des femmes qui jugeaient impudique sa jupe portefeuille légèrement entrouverte. Elle-même pouvait à tout moment la repositionner, mais sa tenue n’avait absolument rien d’indécent. On peut vite devenir intolérant, incompréhensif, au nom de la santé, de la dignité, de la pudeur ! Par contre, combien de fois les regards insistants des citadins, au quotidien, sont pesants et impudiques… » Maîtriser sa gêne est une tâche bien souvent difficile pour les parents. Elle est pourtant d’autant plus indispensable qu’un malaise peut fausser les relations.
Lorsque mon fils a eu ses premières érections, cela ne l’a pas du tout mis mal à l’aise, raconte la mère de Thomas, IMC, mais moi j’avais l’impression d’être une mère incestueuse. Ce sentiment de culpabilité était si fort que j’ai arrêté de l’embrasser alors qu’il avait besoin de ma tendresse physique. Il s’est ensuite mis en tête que je ne l’aimais plus… J’ai appris aujourd’hui à faire la part des choses, puisque lorsque je suis toute seule, je ne peux pas passer le relais à un proche. Pendant les soins, j’oublie désormais que c’est mon fils. Je lui redonne des caresses, des bisous, je lui tiens la main. S’il n’en a pas envie… je le vois. Et finalement, cela ne me pose plus problème.
Le père de Betty, 9 ans, redoute quant à lui de donner son bain à sa fille. « Et dans un établissement, je n’aime pas qu’un éducateur homme s’occupe d’elle. » Il est important que les parents ne dramatisent pas chaque geste. Il faut savoir établir ce qui peut gêner l’enfant et en parler avec lui, sans projeter ses propres angoisses : c’est lui qu’il faut écouter avant tout ! « Je fais attention qu’il n’y ait pas de tiers extérieur à la famille lors de la toilette, explique Pascal, père d’Aurélie, 10 ans, et nous parlons avec elle de ses manifestations prépubères, ce qui semble l’aider. »
Puis, la famille trouvera les choix qui conviennent à tout le monde, parents et enfants. Pour certains, cela passe par une stricte séparation des tâches entre le père et la mère, les frères et les soeurs, l’auxiliaire de vie… Ainsi, c’est la maman d’Elsa, IMC de 14 ans, qui la lave. « Jamais son papa ne l’essuie par exemple. Il ne le souhaite pas. Nous avons eu un auxiliaire de vie masculin. Ma fille a préféré qu’il ne s’occupe plus d’elle, dès lors qu’elle aurait ses règles. Nous respectons son désir. » Enfin, il faudra en parler avec les professionnels qui s’occupent de son enfant à la maison ou en établissement. « Les institutions ont fait d’énormes progrès de ce côté-là », notent l’ensemble des parents. « On vous parle plus et mieux de la sexualité de votre enfant. » Ainsi, la maman d’Élodie, 20 ans, se réjouit que son institution se soucie de la pudeur des résidents. « Ils ont chacun leur chambre et l’adolescent peut choisir qui s’occupe de lui. Les changes se font dans l’intimité et, autant que faire se peut, les filles sont changées par les femmes. »
Sheila Warembourg, consultante diplômée en sexologie et en santé publique, répond à deux questions de parents sur l’intimité à la maison et en établissement. Mon fils tétraplégique de 12 ans ne peut pas se laver seul. Avec la puberté qui s’annonce, dois-je passer le relai à mon mari pour sa toilette ?
Votre fils n’est plus tout à fait un petit garçon, et bientôt, même si son corps reste frêle, il aura le sexe d’un homme. La solution que vous envisagez est excellente, car elle encouragera un rapprochement très profitable avec son père. Dites à votre fils que les deux événements sont liés : " Comme tu deviens grand, ce n’est plus à moi de m’occuper de toi. Ton père va faire ta toilette. " Cela peut nécessiter une réorganisation domestique, mais, dans mon expérience, les papas ne rechignent guère à prendre leur place dans ce domaine. Ce sont plutôt les mamans qui ont du mal à lâcher leur grand garçon, sous prétexte qu’elles savent mieux faire. Si vous avez un doute sur la qualité du résultat, rappelez-vous que les ados valides ne sont pas toujours d’une propreté irréprochable et qu’ils s’en accommodent très bien… Dans tous les cas, le jeu en vaut la chandelle. Vous verrez à quel point la reconnaissance de son nouveau statut prendra de l’importance aux yeux de votre fils. Soutenu, valorisé, il aura davantage envie de grandir. Si votre mari ne peut pas prendre le relais tous les jours, respectez scrupuleusement la pudeur de votre ado. Veillez à ce que son sexe soit le moins souvent possible sous vos yeux : couvrez-le d’une serviette pendant la toilette, comme doivent toujours le faire les professionnels. Fermez la porte de la salle de bain à clé, en expliquant que c’est pour préserver son intimité de grand. Et si vous disposez d’un système sûr (siège adapté), laissez-le seul un moment dans son bain, pour qu’il se voie grandir de la tête aux pieds.
Mes deux filles sont accueillies dans un établissement où, faute de personnel suffisant, ce sont des hommes qui se chargent de leur toilette. Je suis indigné par cette pratique contraire, selon moi, au respect de l’intimité.
Vous avez raison de vous émouvoir et d’interroger le personnel de l’établissement sur cette situation. Pour des questions de pudeur, il est préférable que ce soit une femme qui s’occupe de la toilette intime de la jeune fille. Quand c’est impossible, parce que le personnel féminin est en nombre insuffisant, il est important de ne pas faire comme si de rien n’était. Il faut mettre des mots sur les gestes. L’éducateur ou l’auxiliaire homme peut dire à votre fille : " Je viens t’aider aujourd’hui pour changer ta serviette hygiénique car on n’a pas d’autre solution, mais je suis gêné. " Remarquez que la situation inverse - une femme qui s’occupe d’un jeune homme - semble plus naturelle. Pourtant celle-ci peut être légitimement mal à l’aise d’assurer les soins intimes d’un garçon qui a une érection pendant son bain. Dans tous les cas (y compris lorsqu’ils sont réalisés par une personne du même sexe), les gestes de la toilette ne doivent jamais se faire sans qu’il y ait de communication. Il n’y a rien de plus terrible que de voir des professionnels "blindés" qui ne pensent plus au caractère exceptionnel de leurs actes. Même s’il s’agit d’un jeune polyhandicapé, il est essentiel d’essayer de lui faire comprendre que la situation n’est pas anodine. Le risque de la banalisation est que la personne n’ait plus la conscience de son intimité et ne puisse pas réagir à des actes de malveillance. Le travail des équipes dans les établissements est délicat et il est important que des parents, comme vous, veillent, non pas pour le critiquer, mais pour le faire évoluer vers plus d’humanité.
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